Réponse à Martin Hirsch (suite et fin...au moins provisoire)
Dans un billet en date du 30 septembre, Martin Hirsch a mis en ligne sur son carnet de bord électronique (« blog ») un commentaire qui est censé corriger les propos que j'ai tenus sur mon propre blog à propos du RSA.
On a déjà répondu à plusieurs questions soulevées par ce court billet :
- à propos des cas-types à partir desquels il faut comparer la situation actuelle, en faisant notamment remarquer que les « nouveaux » chiffres présentés par Martin Hirsch n'étaient pas les mêmes que ceux donnés une douzaine de jours plus tôt pour informer les députés appelés à se prononcer sur le projet de loi ( Souvent Hirsch varie, bien fol... ). C'est dire la qualité de l'information diffusée à nos élus... ;
- à propos des seuils de pauvreté monétaire utilisés pour évaluer si les allocataires du rsA sortent ou non de la pauvreté ( Des seuils de pauvreté pour évaluer le niveau de vie ).
Dans les lignes qui suivent, on trouvera un commentaire plus détaillé sur les remarques de Martin Hirsch. Inutile, donc, d'aller sur son site. Vous trouverez ci-dessous, à la fois ses remarques (en italiques et en petits caractères, précédées de MH) et mes commentaires (en caractères normaux précédées de PC). Martin Hirsch a organisé ses propos autour de trois affirmations reprises une à une. Cet article développe surtout des remarques sur le premier point. Les autres questions ont déjà fait l'objet de réponses.
1. Aujourd'hui un Rmiste qui retrouve un emploi peut perdre de l'argent.
MH - L'économiste affirme que l'intéressement permet de toujours gagner plus quand on travaille un peu plus durant l'année de reprise d'emploi.
Mais un Rmiste peut gagner moins en travaillant qu'en étant inactif dans plusieurs situations. Par exemple, les personnes qui acceptent un emploi aidé et qui sont exclues de l'intéressement sont dans ce cas. Demain le rSa sera versé à tous, quelque soit le type de contrat.
PC - D'abord un rmiste qui n'a pas d'emploi et qui en recherche un n'est pas inactif : il est au chômage. Cette façon de considérer les Rmistes sans emploi comme des « inactifs » en dit long sur le regard que Martin Hirsch porte sur ces personnes. Certes, ces dernières années, les pouvoirs publics ont incité les Rmistes à ne pas s'inscrire à l'ANPE pour dégonfler les statistiques du chômage ; l'ANPE - le service public de l'emploi - c'était apparemment trop bien pour eux. Mais ce n'est pas une raison pour disqualifier les Rmistes en tant que chômeurs et les considérer comme des inactifs.
Question vocabulaire, ou plutôt typographie, pour ceux qui n'avaient pas encore remarqué, c'est rigolo cette idée de mettre le s en majuscules dans rsa, comme si on pouvait mettre en doute le caractère solidaire d'une prestation imaginée et mise en place par l'ancien président d'Emmaüs... Une riche idée de communicant.
Sur le fond, le champ de l'intéressement a en effet été réduit par des décisions relativement récentes (depuis 2006), notamment pour les fameux contrats d'avenir de M. Borloo. Mais il n'en a pas toujours été ainsi, et cette question peut être aisément résolue en remettant comme auparavant tous les allocataires sur un pied d'égalité. Ceci dit, la technique est bien connue : on crée des inégalités entre les pauvres et, ensuite, au motif de les rendre tous égaux, on abaisse les droits pour tous. La ficelle est un peu grosse.
MH - C'est également le cas pour certaines personnes même avec l'intéressement, compte tenu des pertes de droits connexes liés au statut de bénéficiaire du RMI. Une récente étude réalisée par deux économistes (lien sur le blog), Yannick L'Horty et Denis Anne, montre qu'une personne seule doit travailler au moins 22 heures hebdomadaires au SMIC pour que le revenu disponible avec emploi soit supérieur au revenu sans activité (en considérant l'intéressement mais aussi la PPE).
PC - Là encore on remarquera le vocabulaire : on compare à la fin du paragraphe un « revenu disponible avec emploi » à un « revenu sans activité ». Décidément, c'est une obsession de vouloir qualifier les Rmistes sans emploi d'inactifs.
Ensuite, il faut crier ouf ! Car l'étude en question a été présentée en septembre 2008, in extremis, juste avant le débat parlementaire. Quelle coïncidence, n'est-ce pas ? D'ailleurs on peut se demander si elle est vraiment parue puisque, dans la version qu'on peut trouver sur internet, elle est datée de septembre... 2009. Peut-être les auteurs (Anne et Lhorty) veulent-ils se donner le temps de la réflexion... ? Voir l'étude : RSA-AFSE.pdf
Venons en aux droits connexes. C'est un discours rabâché. Le Rmiste, c'est bien connu, a un vrai statut. Vous ne le saviez pas ? Non seulement il a l'alloc, mais en plus il reçoit plein d'aides : pour les transports, pour la cantine des enfants, pour les vacances,... Au total, cela représente combien ?
Selon l'étude citée par Martin Hirsch, cela représente tellement qu'il faudrait « travailler au moins 22 heures hebdomadaires au SMIC pour que le revenu disponible avec emploi soit supérieur au revenu sans activité (en considérant l'intéressement mais aussi la PPE). » Autrement dit, cela signifie que le montant des droits connexes perdus à la reprise d'emploi représenterait l'équivalent de l'intéressement actuel pour un emploi de 22 heures. Enorme, en effet.
Petit calcul : 22 heures au SMIC en salaire nets, cela fait 646 euros.
Pendant les 3 premiers mois de reprise d'emploi, c'est le montant de l'intéressement. Donc les droits connexes représenteraient ce montant ? C'est-à-dire 1,6 fois le montant de la prestation monétaire après déduction du forfait logement (646/394) ? Certainement pas.
Considérons l'intéressement (donc ce que le Rmiste conserve en plus de l'allocation de base) sur l'année de reprise d'emploi. Sur cette année, cela représente dans le cas choisi par Martin Hirsch une moyenne mensuelle de 546 euros. Ce serait le montant des droits connexes ? Soit 1,4 fois le montant du RMI ? Personne ne peut le croire. Et pour cause, ce n'est pas la réalité. Ce n'est pas sérieux d'écrire des choses pareilles. Avec l'intéressement et la PPE, comme on l'a écrit, il y a très vite un gain monétaire durant la première année quand il y a retour à l'emploi, même en prenant en compte les droits connexes.
MH - Avec le rSa, compte tenu en particulier de son caractère pérenne, le revenu disponible d'une personne qui travaille est toujours supérieur aux revenus sans activités.
PC - Bon, si on comprend bien, on n'est plus dans la question initiale de la « reprise d'emploi », puisque c'est le caractère pérenne du rsA qui est mis en avant.
Ce n'est vraiment pas un scoop. C'est précisément la principale critique qui est faite au rsA (1). Le rsA, c'est tout simplement une subvention généralisée aux bas salaires, du type de la PPE. C'est un dispositif qui déresponsabilise les employeurs. C'est exactement ce qu'avait demandé Seillière, il y a 10 ans. Ci-dessous, un extrait de l'article du journal La Tribune du 4 mars 1998. A l'époque, vous vous en souvenez sans doute, le CNPF ne faisait pas dans la dentelle et s'opposait frontalement au gouvernement Jospin. C'est sûr qu'il était animé des meilleures intentions du monde à l'égard des salariés. Extrait :
(...) Un " projet pour l'espoir ». Le CNPF a manifestement tenu compte des critiques. Il a annoncé hier que le CNPF soumettrait à Lionel Jospin un " projet pour l'espoir » qui proposerait " des mesures alternatives, libres, simples et efficaces, susceptibles de réellement réduire le chômage ». Ce " projet » comportera deux axes de réflexion principaux. A court terme, il s'agira de " proposer un emploi aux chômeurs et aux jeunes ». Pour cela, le CNPF souhaite mettre en place, en liaison avec le gouvernement, un nouveau système d'emploi avec un financement double: ces emplois seraient rémunérés par les entreprises " à hauteur de ce que peuvent payer leurs clients », et l'Etat pourrait, le cas échéant, compléter ce salaire par " un revenu de solidarité ». (...)".
Vous l'avez noté, à l'époque on n'avait pas encore ajouté le A, on avait juste de le revenu de solidarité version CNPF.
MH - Enfin, l'intéressement rend la reprise du travail financièrement intéressante seulement pour une année alors que le rSa sera versé tant que les revenus du ménage n'atteindront pas le plafond fixé (1 180 euros pour une personne seule).
PC - Personne n'a jamais dit le contraire. En revanche, toute la communication (ne parlons pas de propagande) autour du rsA a été sciemment organisée autour de l'idée que les Rmistes qui reprenaient un emploi y perdaient aujourd'hui de l'argent. Si M. Martin Hirsch veut des références, c'est facile de lui en trouver. Mais ceci est faux pour la première année. Et pour cette première année, ce qui est certain, c'est que le rsA sera moins avantageux que le RMI. En tout cas, rien n'est garanti.
2. Le rSa va rendre plus attractive la reprise d'emploi.
MH - Le chercheur affirme, que les montants de rSa sont toujours inférieurs aux montants de l'intéressement sur la première année dans le cas d'une personne seule.
Son calcul ne prend pas en compte les trois premiers mois de cumul intégral entre le minimum social et les revenus d'activité, alors que cette mesure, déjà appliquée avec l'intéressement, est conservée avec le rSa.
Par ailleurs, la prime de 1000 euros actuellement versée au 4ème mois pour les allocataires du RMI qui reprennent un emploi de plus de 78 heures est remplacée par une aide versée dès la reprise d'emploi.
Il faut donc la neutraliser dans le calcul de l'intéressement pour rendre les montants comparables.
Enfin, il faut rappeler que l'originalité du rSa est d'être versé tant que les ménages en ont besoin. Il se peut que certaines configurations amènent à percevoir un peu moins de prestation la première année, mais ces ménages seront gagnants car ils continueront à percevoir le rSa.
PC - Sur le cumul des 3 premiers mois, la prime du 4ème mois et la nécessité de la neutraliser, on a déjà répondu ( Souvent Hirsch varie, bien fol... ). Martin Hirsch reconnaît que, dans certaines configurations, des ménages peuvent être perdants : c'est le cas de tous ceux et toutes celles qui reprennent un emploi de plus d'un mi-temps !
3. Le rSa va réduire la pauvreté laborieuse
MH - L'économiste compare les revenus des ménages par rapport au seuil de pauvreté 2006 revalorisé pour tenir compte du fait que le rSa ne sera mis en application qu'en 2009.
Même en se basant sur les seuils de pauvreté utilisés dans l'article, le seuil de 920 euros est franchi au mi-temps pour une personne seule qui perçoit une allocation logement.
Le seuil de 1196 euros pour une femme seule avec enfant est franchi entre le quart temps et le mi-temps.
Les organismes de statistique publique ont estimé par des travaux de micro-simulation qu'entre 500 000 et 700 000 personnes sortiront de la pauvreté rien que par le fait de percevoir la nouvelle prestation.
D'autres personnes en sortiront au cours des prochains mois une fois qu'ils auront renoués avec l'emploi.
PC - J'ai répondu en détail dans un précédent article qui développe la question des seuils de pauvreté et de leurs usages pour évaluer la situation des allocataires du RMI ( Des seuils de pauvreté pour évaluer le niveau de vie ). Pour la prise en compte des éventuelles allocations logement, je propose une méthode différente qui évite de supposer que les personnes sortent de la pauvreté parce qu'elles perçoivent l'allocation logement... à son maximum.
Une autre petite remarque : si les organismes de statistique publique ont fait des calculs aussi intéressants, pourquoi ce travail d'intérêt public reste-t-il confidentiel ?
Enfin, on admirera la foi dans l'avenir : quand « les personnes ...(ils) auront renoués avec l'emploi ». C'est sûr, c'est fatiguant les débats parlementaires, ça vous fait faire plein de fautes de grammaire. Mais le problème de fond, qui a été maintes fois soulevé et auquel le rsA ne répond pas, c'est qu'il n'y a pas d'emploi pour tous. Donc on va, avec le rsA, au plein emploi libéral, en partageant le chômage entre les plus pauvres, en distribuant des miettes d'emploi qu'il faut rendre soutenables. On a vraiment là, pour reprendre la formule de Serge Paugam, la mise en place d'un régime de précarité assistée. Ce n'est certainement pas de cette façon qu'on va réduire la pauvreté laborieuse. S'il suffisait d'une simple prestation comme le rsA, depuis la création du RMI, en 1988, ça se saurait...
L'article en format word: R-ponse---Martin-Hirsch.doc
(1) Martin Hirsch souligne le S de rsa ; j'ai décidé de souligner le A, car c'est vraiment l'activation, le travail si vous préférez, qui au cœur du rsA.