Brazil
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J’en viens directement à la principale critique de Didier Porte. Celle d’avoir conclu l’édito par une référence à la chanson de Pierre Dac sur le Radio Paris de l’occupation (« Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand »). Didier Porte préfère la formule de Pierre Dac à ma paraphrase maladroite. Ok. On n’est pas tous les jours au top et je n’ai pas la prétention d’arriver à la cheville de Pierre Dac. Là où je ne suis pas d’accord, c’est qu’il en conclue que j’aurai voulu dire par cette ritournelle que tous les salariés de Radio France étaient subitement devenus, avec la nomination de Hees, des collabos. En fourbe et hypocrite que je suis, j’aurai même fait précéder cette chute de précautions oratoires « jésuitiques » (« petite ritournelle », « sourire de Pierre Dac »). Quel est le principal argument de Didier Porte (le seul en fait) ? Didier Porte émet librement. Donc tout va bien. Problème : Didier Porte parle de Radio Porte et je parle de Radio Sarko. Forcément, on n’est pas sur la même longueur d’ondes.
Un édito, c’est court (1700 signes à Siné Hebdo !). Et le réduire à une formule pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas permet peut-être de pousser un coup de gueule, surtout quand on a le talent de Didier Porte, mais pas de répondre sur le fond. Explication.
Pour un édito, j’essaye toujours de réunir trois ingrédients : un thème ou fil conducteur, des infos (un journal, même satirique, c’est d’abord de l’info) et une chute (généralement en retour sur le thème). Dans l’édito incriminé, le thème c’était Radio Sarkozy, c’est-à-dire, en clair, l’interventionnisme croissant du pouvoir politique sur les médias. C’est pas nouveau, mais Sarkozy en rajoute une très grosse couche. L’invitation inédite du patron de Radio France au micro de « sa » radio a été, cette semaine-là, l’actu qui a amorcé la pompe. Pour en arriver à la petite chanson qui chagrine tant Didier Porte, j’essayais (brièvement, édito court, etc.) de resituer cet épisode dans un contexte plus général. D’abord, les licenciements massifs à RFI. Où il saute aux yeux de n’importe quelle personne un peu informée qu’il s’agit, en résumé, de museler une radio qui « dérange » (le pouvoir, pas les auditeurs). J’enchainais sur la question plus générale des libertés, en évoquant le cas de Coupat (désormais relâché) et la pétition de la maison des écrivains contre le « délit de lecture ». RFI et Coupat, Didier Porte n’en parle pas. Pourtant je ne pense pas que l’on puisse sérieusement analyser l’édito – et comprendre sa chute - sans la relier à ces faits. Surtout quand le texte est si court (édito bref, 1700, etc.).
Je terminais, donc, par la désormais fameuse chanson paraphrasée, non pas en prenant de façon hypocrite quelques « précautions oratoires », mais en l’introduisant d’une façon un peu légère, comme un clin d’œil à Pierre Dac, pour bien montrer que, justement, il ne s’agissait pas de comparer ce qui n’est pas comparable, mais de dénoncer un climat, une tendance lourde (très lourde) qui commence à résonner assez fort avec des périodes plus sombres. Manifestement, cela n’a pas été compris. Alors je précise.
Il faut d’abord rassurer Didier Porte. Les Allemands ne sont pas entrés dans Paris et ils n’ont pas envahi la France. Jean-Luc Hees n’est pas Himmler (ni Goebbels) et Sarkozy n’est pas nazi. Je présente aux lectrices qui auraient pu faire cette lecture de l’édito mes plus tendres et inavouables excuses. Quant aux lecteurs, ils n’ont qu’à aller trouver leur lectrice préférée qui leur transmettra. En 2007 (élection de Sarkozy), c’est pas reparti comme en 40. En 2007, on a la télé couleur et plein d’autres objets encombrants qui servent à faire tourner la machine à consommer jusqu’à la nausée. En 2007, on a internet, l’iPhone, la Wii, …et encore plein d’autres conneries. Bref, en 2007, on ne ment pas comme en 1940. Pour une raison simple : cela serait contre-productif. Les capitalistes l’ont compris bien mieux (et bien plus tôt) que les pays de l’ex-bloc soviétique. Anecdote. En 1981, avec d’autres copains, nous sommes allés en Pologne juste après le coup d’Etat de Jaruzelski pour y convoyer une aide « humanitaire ». A l’époque, dans certains quartiers de Varsovie, les habitants mettaient de temps à autre à leur fenêtre l’écran de leur télé, tourné vers la rue, au moment du journal télévisé. Comme un petit happening, tous en chœur. Ces Polonais ne connaissaient sans doute pas les chansons de Boris Vian mais ils avaient compris, sans être snob, que la télé, décidément, de l’aut’côté c’est bien plus passionnant. Ils avaient aussi, comme l’aurait dit l’ami Boris, l’âme slave. Bref, la dictature était installée mais sa propagande ne dupait personne.
Aujourd’hui, dans nos pays civilisés qui, je le précise, ne sont pas des dictatures, les choses sont (un peu) plus subtiles. Aujourd’hui, les Etats-Unis occupent toujours l’Irak après avoir envahi ce pays en prétextant à la face du monde entier des contre-vérités. Ce qu’absolument personne désormais ne conteste. Et pour cause, c’est la simple vérité. Sur ce (gros) coup, le mensonge l’a emporté sur la vérité. Faut-il parler de propagande ? ça ne se passe pas chez nous. Cela ne peut pas arriver chez nous ? Cela n’arrive pas chez nous ? Pourtant, on se souvient encore de la campagne présidentielle de 2002 où l’hystérie sécuritaire médiatique avait relégué au second plan tout véritable débat de fond. Où cela s’arrêtera-t-il ? Personne n’est devin. Mais on y va en accélérant… Le problème, dans les démocraties d’opinion dans lesquelles nous vivons désormais, ce n’est pas le contrôle strict de l’information qui, encore une fois, n’aurait pas de sens. C’est la capacité des pouvoirs à mobiliser l’opinion publique dans des périodes clés, comme celles des élections présidentielles. Et une fois élu, bonjour le mépris, comme on le voit bien avec Sarkozy. Pour faire passer la pilule, la caisse de résonance médiatique fonctionne avec quelques soupapes : l’humour, le divertissement et même quelques infos, comme Mermet par exemple. Ce n’est pas pour autant que Mermet est un « collabo ».
Bref, quand Jean-Luc Hees a pris la tête de Radio-France, les chars ne sont pas entrés dans la maison de la radio et les programmes n’ont pas été chamboulés. On a juste franchi un cran de plus vers une forme de contrôle sarkozyste des médias. Les salariés de Radio-France ne sont pas devenus du jour au lendemain des « collabos ». Je n’aurais jamais employé ce mot. Pourtant, sur l’antenne de France Inter, on a pu l’entendre dans la bouche d’une journaliste, Christine Laborde, qui n’a pas hésité à traiter, pour le coup sans « jésuitisme », les cheminots de « collabos » (en raison du rôle de la Sncf dans la déportation pendant la seconde guerre mondiale). Et le nouveau maître de France Inter, Philippe V., use et abuse de ces références à cet épisode historique pour qualifier ses adversaires de « nazis », pour parler de Munich (1938), etc. On peut lui faire confiance pour tirer la révérence aux hommes et aux femmes de pouvoir. Et cela n’a pas non plus commencé avec Hees. Il suffit d’écouter comment certains journalistes de France Inter laissent débiter des énormités (des « boniments ») aux ministres qui passent à l’antenne pour s’en convaincre. Besson, par exemple, niant contre toute évidence le délit de solidarité. Pour se faire son opinion, c’est simple. Il suffit de lire son communiqué de presse et sa prétendue démonstration, puis de comparer avec les arrêts mis en ligne sur le site du Gisti (je sais, c’est difficile, il faut savoir lire), pour se rendre compte qu’il ment en commentant ces décisions de justice. N’est-ce pas le rôle des journalistes de lui rabattre (poliment) son caquet ? Autre exemple : Hirsch, petit génie sorti tout droit de la cuisse de l’énarchie qui prétend avoir trouvé la solution miracle pour « remettre » les Rmistes au boulot. Mais qui a constamment menti en assénant l’idée qu’un Rmiste qui reprendrait un boulot y perdait du fric. N’est-ce pas là non plus le rôle d’un(e) journaliste de pointer ces impostures ? Certains le font, mais pas tous, loin de là. C’est bien là le problème. Car les chaînes de Radio France sont des radios publiques, c’est-à-dire des radios qui devraient être au service du public et où ces attitudes ne devraient pas exister. Et je me contrefous du fait que les radios privées asservies au pouvoir de l’argent sont pires. Parce que je parle de la radio publique.
Je ne vais pas poursuivre ici une analyse des médias et de leur rôle dans le « façonnage » de l’opinion publique. D’autres font ça beaucoup mieux que moi, et de façon beaucoup plus rigoureuse (voir le site d’Acrimed, par exemple). Et, de toute façon, ce n’est pas le but. Il suffit de reconnaître cette évidence : il n’y a pas besoin de censurer un journaliste con. Je précise, sinon on va encore me tomber sur le râble: je ne parle pas des chroniqueurs mais des journalistes qui servent la soupe. Didier Porte et bien d’autres n’en font pas partie. Retour au journaliste con. Il fait le con, c’est tout ce qu’on lui demande. Et quand la promotion devient proportionnelle à la connerie, quand elle assure des perspectives de carrière, c’est plutôt mal parti. Bien sûr, heureusement, il existe des personnes qui résistent à ces pressions (on peut les appeler des résistants ?). Mais cela ne change rien à la lame de fond qui les (em)porte.
Bon, on termine avec une chanson, encore une fois. Pour coller davantage à l’air du temps sans craindre les foudres de mes collègues chroniqueurs, il aurait sans doute été préférable de conclure l’édito par une autre chanson, Brazil, qui sert de titre au film de Terry Gilliam. Vous vous souvenez de Sam Lowry, fonctionnaire au ministère de l’information, qui finit lobotomisé sous les mains de son « ami » ? Mais comme je suis un peu têtu, je reviens une fois de plus sur la chansonnette de Pierre Dac, avec un petit changement. « Radio Sarko ment, Radio Sarko ment, encore un peu plus qu’avant ». ça te va mieux comme ça, Didier ?