Ça se corse pour Sha KeQi

Publié le par pierrôt

Inénarrable Devedjian ! La polémique enfle autour du limogeage du responsable de la sécurité en Corse. Martine Aubry parle de « privatisation de la République ». Nicolas Dupont-Aignan évoque « deux poids deux mesures » et François Bayrou parle du « fait du prince ». Et voilà le secrétaire général de l'UMP qui croit venir au secours de son maître Sha Qeki en rectifiant légèrement la formule : « plutôt le devoir du prince », a-t-il commenté, sans doute en croyant faire d'un prétendu bon mot une réplique cinglante à la critique.

Bon, c'est donc qu'il y a un prince et non un président, et c'est bien lui, malgré les dénégations de la ministre de l'intérieur qui est à l'origine de cette sanction (puisqu'il a rempli le « devoir du prince »). Dont acte.

Tout le monde sera aussi ravi d'apprendre que ce « prince » a des devoirs. Ce n'était pas en effet très clair depuis son arrivée au pouvoir. Mais des devoirs envers qui ? Uniquement envers ses proches et ses amis ? Ou aussi envers tous les citoyens de ce pays ? Dans une vie antérieure (sans doute) un Sha KeQi de passage dans les banlieues avait promis de les débarrasser de la « racaille » (pour reprendre des mots dont on lui laisse la responsabilité). On ne lui en demandait pas tant. On lui demandait simplement de faire l'égalité entre tous les citoyens. De faire en sorte que les citoyens qui habitent en banlieue vivent dans la même tranquillité que les amis du président en Corse. Or rien n'a changé dans ces banlieues. « Lorsqu'on est préfet, on assume ses responsabilités », a déclaré selon le porte-parole de l'Elysée le président de la République à propos de l'affaire corse. Faudrait-il donc aujourd'hui limoger notre petit Sha ?

Xavier Darcos utilise un autre procédé pour tenter de justifier la sanction du flic/pandore en chef. « Ce n'est pas parce que la victime est un ami du président de la République qu'il y a une circonstance atténuante, une faute est une faute », a déclaré le ministre de l'Education nationale.

Encore un nouvel exemple du procédé désormais usé jusqu'à la corde qu'utilisent les sbires de Sha KeQi. Car personne n'a évidemment parlé de « circonstance atténuante ». Darcos s'invente des ennemis imaginaires en leur prêtant des idées outrancières pour disqualifier plus facilement une position injustifiable ...que personne n'a soutenue. En pariant sur le fait que l'on ne retient que l'écume des mots et que le dernier qui a parlé a toujours raison. Cela s'appelle, on y reviendra, prendre les gens pour des cons.

Petit arrêt sur les mots, pour ceux que cela intéresse. Le procédé consiste à transformer une exception en une règle et à soutenir qu'il n'y a aucune raison de ne pas respecter cette règle (de faire une exception) au motif que l'affaire concerne des proches du président. Bref, on dit que l'exception c'est la règle et qu'il n'y a aucune raison de faire une exception à cette règle (car la règle devrait être la même pour tous, évidemment). Cela revient à légitimer l'exception de façon purement formelle, de façon rhétorique. C'est tordu, je sais.  C'est pour cela que ça peut marcher quand on n'a pas le temps de réfléchir au fond des mots. Mais c'est intenable d'un point de vue logique. Prenons un exemple.

Supposons que l'on vole le scooter du fils d'un notable (par exemple un homme politique particulièrement opportuniste et traître qui ne jure que par la vie « bling bling »). Supposons aussi qu'à la suite de ce vol la police emploie des moyens exceptionnels (par exemple des tests ADN très coûteux) pour retrouver les voleurs. Des citoyens s'émeuvent de ce traitement de faveur exceptionnel. Et les amis du notable répondent.

« Un vol est un vol ». A ce niveau tautologique primaire, il est difficile d'être en désaccord.

« Ce n'est pas parce que la victime est le fils d'un homme politique particulièrement opportuniste et traître que la police ne doit pas faire son travail en recherchant le plus efficacement possible les voleurs ». Là encore, personne n'a dit que la police ne devait pas bien faire son travail. Il n'y a formellement rien à redire.

« Donc personne ne peut critiquer le fait que la police ait employé des moyens exceptionnels pour retrouver les voleurs ».Evidemment, ce qui gêne ici, c'est le donc. Car cela laisse supposer que la police a bien fait son travail parce qu'elle a employé des tests ADN coûteux. Ce qui, en bonne logique, signifie que la police ne fait pas bien son travail lorsqu'elle n'emploie pas ces méthodes pour rechercher les voleurs de scooter; c'est-à-dire toutes les autres fois que l'on vole un scooter ou une mobylette. 

En résumé, en essayant de légitimer un fait exceptionnel ce raisonnement disqualifie les faits ordinaires. Traduction concrète : la police ne fait pas bien son travail lorsqu'elle n'emploie pas des tests ADN pour retrouver les voleurs de scooter. Et, à ce compte-là, il faudrait prévoir une sacrée réserve de préfets de police en Corse...

On voit bien que ce raisonnement ne fonctionne que dans l'instantané, parce qu'il joue sur les mots, sans doute de façon un peu plus subtile que Devedjian. Mais finalement c'est le même style d'entourloupe. L'erreur est de penser que cela trompe les gens. Car ce n'est pas parce que l'on prend les gens pour des cons qu'ils le deviennent. Ce serait même plutôt l'inverse. Le bras d'honneur permanent, ça n'a jamais permis de gagner l'opinion publique. Il y a dans ce sans-gêne présidentiel quelque chose qui est ressenti de façon immédiatement choquante par les citoyens. Aucun "bon mot", aucune déclaration ministérielle ne peut dissiper ce malaise.

Publié dans LE JOURNAL DES GOGOS

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