Des seuils de pauvreté pour évaluer le niveau de vie

Publié le par pierrôt

Une question revient de façon récurrente dans le débat: à combien se situe le seuil de pauvreté. derrière cette question, il y a neuf fois sur dix (au moins) l'idée d'utiliser ce seuil comme indicateur de niveau de vie. On propose ici une approche de cette question. Le texte étant long, on peut le télécharger ici au format word:  Seuils-de-pauvret-.doc Seuils-de-pauvret-.doc

 

Les seuils de pauvreté monétaires calculés par l'INSEE dans ses études ne sont pas construits pour évaluer le niveau de vie réel des Français mais pour dénombrer et caractériser les populations pauvres. Ces études reposent sur des données d'enquête à partir desquelles sont calculés les revenus de chaque ménage. On en déduit ensuite, en fixant un seuil dans la distribution des revenus de l'enquête, un niveau de vie minimum au-dessous duquel les ménages sont considérés comme pauvres, d'un point de vue monétaire.

Comme cela a déjà été montré(1), les seuils de pauvreté calculés à partir de ces données d'enquête ne peuvent pas être comparés à des barèmes sociaux, car ces enquêtes minimisent fortement les revenus des ménages. D'un côté, avec les données d'enquête, on a des revenus qui ne correspondent pas à la réalité et qui sont sous-estimés, alors que de l'autre, avec des barèmes sociaux, on a la réalité de ce que perçoivent les ménages allocataires. La comparaison est donc biaisée et ce biais est tout à fait considérable. En 2006, le niveau de vie moyen estimé par les enquêtes fiscales était de 1700 euros ; la même année, les données de la comptabilité nationale, qui sont celles que l'on utilise pour commenter l'évolution du pouvoir d'achat des Français, donnaient un niveau de vie moyen de l'ordre de 2400 euros, supérieur de plus de 40% aux données d'enquête.

Il n'existe pas de statistique parfaite. Mais il existe des statistiques qui sont plus ou moins pertinentes pour répondre à une question donnée. Si on veut calculer un seuil de pauvreté qui puisse être une référence en termes de niveau de vie, il est incontestable que les données macroéconomiques sont les plus pertinentes. Ce sont d'ailleurs celles que l'on utilise dans les comparaisons internationales pour comparer le niveau de vie de différents pays. Il ne viendrait à l'idée de personne de faire des comparaisons internationales de niveau de vie à partir de données d'enquête.

Pour évaluer les barèmes sociaux, mais aussi pour guider le choix d'un seuil,de pauvreté,  il est donc nécessaire de prendre en compte les revenus réels des ménages. Les comptes nationaux élaborés par l'INSEE constituent la meilleure estimation de ces revenus réels. Pour l'année 2006, Le niveau de vie moyen des Français était d'environ 2400 euros par mois. On peut actualiser ce chiffre à l'année 2008 et on aboutit à une fourchette comprise entre 2520 et 2550 euros. C'est à l'aune de cette moyenne que l'on peut évaluer les différentes propositions faites pour le rsA.

Le chiffre de 817 qui figure dans les cas-types de Martin Hirsch pour une personne seule représente moins d'un tiers du niveau de vie moyen. Pourtant, si l'on prend la même référence statistique que celle qui est retenue par Martin Hirsch, soit 60% du niveau de vie médian (et non moyen), on aboutit à un seuil de pauvreté réel d'environ 1200 euros par mois en 2008(2). Il s'agit là d'un minimum pour une personne seule.

Pour aboutir à un barème qui tienne compte du nombre de personnes du ménage, il faut évidemment majorer ce montant. Pour cela, on ne procède pas à une simple multiplication par le nombre de personnes du ménage car la vie en communauté se traduit par des économies d'échelle. Les statisticiens retiennent donc des coefficients qui tiennent compte de ces économies d'échelle. Le problème qui se pose ici est qu'on ne peut retenir des coefficients moyens. Toutes les études montrent en effet que ces coefficients moyens sont sous-estimés pour les ménages à bas revenus et, typiquement, pour les ménages pauvres(3). Même s'il n'existe pas de solution totalement satisfaisante, il est donc exclu de retenir ces coefficients moyen, comme c'est pourtant le cas dans le calcul du RMI.

Pour obtenir un ordre de grandeur, on a retenu dans le tableau ci-dessous des coefficients un peu plus anciens qui étaient naguère utilisés par l'INSEE et qui traduisent davantage la réalité des besoins des ménages pauvres(4). Pour les ménages isolés, nombreux à percevoir le RMI, on a aussi fait une distinction selon l'âge des enfants.


Seuils de pauvreté monétaire en 2008 (en euros par mois)


 

Seuils avec coefficients corrigés

Seuils avec coefficients minorés (pour mémoire)

Situation familiale

 

Coefficient

 

Seuil de pauvreté
 

Coefficient

 

Seuil

 

Célibataire

1,0

1 200

1,0

1200

Couple sans enfant

1,7

2 040

1,5

1800

Couple avec un enfant (b)

2,2

2 640

1,8

2160

Couple avec deux enfants (b)

2,7

3 240

2,1

2520

Couple avec trois enfants (b)

3,2

3 840

2,4

2880

Isolé avec un enfant (a)

1,7

2 040

1,5

1800

Isolé avec un enfant (b)

1,5

1 800

1,8

2160

Isolé avec deux enfants (a)

2,2

2 640

1,3

1560

Isolé avec deux enfants (b)

2,0

2 400

1,6

1920

(a)  Enfant(s) de 14 ans ou plus

(b)  Enfant(s) de moins de 14 ans


Encore une fois, il n'existe pas de statistique parfaite. Mais ces seuils de pauvreté corrigés sont certainement plus pertinents que ceux de Martin Hirsch pour appréhender le niveau de vie des ménages pauvres.

Comment se situe alors les futurs allocataires du rsA par rapport à ces seuils ? La comparaison, là non plus, n'est pas directe. Car les allocataires de minima sociaux peuvent, outre leur allocation en espèces, percevoir des prestations en nature et, notamment, une aide au logement. La difficulté est que cette aide dépend de très nombreux paramètres. Il est donc difficile de retenir des cas-types représentatifs.

Pour surmonter cette difficulté, une solution consiste à corriger les seuils de pauvreté précédents afin de raisonner sur un revenu après dépenses nettes de logement(5), On obtient alors des seuils directement comparables aux revenus monétaires des allocataires. Les résultats figurent dans le tableau pour quelques cas-types, en fonction de l'emploi occupé.




Seuil net


Revenu mensuel au rsA

selon la durée mensuelle d'emploi

25%

50%

75%

100%

Célibataire

1041

553

713

872

1108

Isolé avec un enfant (a)

1770

724

883

1043

1202

Isolé avec un enfant (b)

1562

724

883

1043

1202

Isolé avec deux enfants (a)

2291

831

990

1150

1316

Isolé avec deux enfants (b)

2083

831

990

1150

1316

(a) Enfant(s) de 14 ans ou plus

(b) Enfant(s) de moins de 14 ans


La principale conclusion est que les parents isolés ne parviennent jamais à sortir de la pauvreté avec le rsA. L'immense majorité des femmes qui composent cette population (un quart du total des Rmistes) reste durement frappée par la pauvreté. Pour que ces femmes sortent de la pauvreté, il faudrait qu'elles travaillent...encore plus qu'un plein temps, de 30% à 70% plus, sans compter le travail domestique. Le rsA n'est certainement pas fait pour les aider.

Quant aux personnes seules qui forment la majorité des Rmistes (60%), seul un temps plein peut leur permettre de sortir, tout juste, la tête hors de l'eau.




(1) Pierre Concialdi, « Les seuils de pauvreté monétaire : usages et mesures », La Revue de l'IRES, n°38, 2002..

(2) La médiane représente environ 80% de la moyenne (pour les détails techniques, voir l'article cité). Le seuil à 60% est donc égal, en chiffres arrondis, à : 2500 x 80% x 60%, soit 1200 euros.

(3) Réciproquement, ces coefficients moyens ne sont pas non plus adaptés pour les plus hauts revenus et sont surestimés.

(4) Échelle de consommation dite d'Oxford. Avec l'élévation du niveau de vie, les structures de consommation changent. Très classiquement, par exemple, la part des dépenses alimentaires diminue. Ce phénomène que l'on observe dans le temps se vérifie également à un instant donné entre des ménages de niveaux de revenus différents. En prenant une échelle plus ancienne, on se rapproche davantage d'une structure de consommation des ménages pauvres.

(5) Pour les détails, voir l'article cité. Cela revient, en résumé, à calculer un seuil de pauvreté par référence à un revenu augmenté des allocations logement et diminué des dépenses de logement des ménages. C'est un indicateur qui donne une vision optimiste de la situation des ménages pauvres puisqu'il repose sur l'hypothèse implicite que les aides au logement permettent de couvrir l'intégralité des loyers.

Publié dans SERIEUX - S’ABSTENIR

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